Momentum historique

Déjà 5 jours passés au El Salvador et nous prenons conscience du « momentum » historique auquel nous sommes convié-e-s. Nous touchons l’aboutissement d’un projet qui se déploie depuis 1 an et demi, à égrainer les réunions, les recherches de financement, la mise en réseau, etc. Nous baignons dans l’effervescence et dans le bouillonnement partisan. Nous écoutons les Salvadoriens et les Salvadoriennes issu-e-s de différents milieux, et représentant-e-s de diverses instances, associatives ou gouvernementales, nous parler du contexte social, du déroulement des deux campagnes, celles municipales et législatives de janvier et la campagne présidentielle qui culminera le 15 mars. Nous avons tenter d’illustrer le carnaval de la « partisanerie », les actes de violence de certain-e-s militant-e-s, les pressions exercées sur l’électorat. Chacun, chacune, nous racontent les histoires de fraude passées ou à anticiper. Plusieurs affichent leur parti pris en évoquant avec passion leurs point de vue.Jamais depuis la signature des accords de paix (ce qui représente 7 scrutins) la « gauche » et la « droite » [1] politiques ne se sont livrées une lutte aussi chaude. Nous assistons à une importante augmentation de la participation citoyen-ne-s et à une recrudescence marquée de l’intérêt pour cette course au pouvoir.

La polarisation des votes distribués entre le parti FMLN et le parti ARENA a, pour ainsi dire forcé le retrait des autres candidats d’organisations majeures soit le PCN et le PDC, qui maintiennent toutefois leur présence à l’assemblée législative à travers les sièges de leurs député-e-s. Ces organisations se sont ralliées à l’un des deux partis majoritaires pour mener la course à la présidence, en fonction de leur tangente idéologique.
La stratégie employée actuellement vise donc la canalisation des votes dans une course bipartite, à travers la formation de coalitions d’intérêts.

Il est intéressant de constater que cette manière de procéder contraste avec les stratégies politiques employées au Québec, par exemple, par les partis indépendantistes, qui ont, depuis les dernières années, eu tendance à diviser l’électorat par la formation de différents partis prétendant défendre des programmes davantage polarisés idéologiquement.Néanmoins, il faut garder en tête que les formations minoritaires au El Salvador se sont laissés séduire, dans le passé, comme elles le font cette fois ci encore, par le parti, entre le FMLN et l’ARENA, le mieux positionné au terme de cette « importantissima » (très importante) élection.
Travestisme idéologique et-ou opportunisme stratégique, cette culture politique sera, sans aucun doute, l’un des éléments qui risque d’être déterminant dans cette course fascinante, ce « momentum » historique salvadorien.

11 mars - Rencontre avec la mission d'observation de l'Union européenne


Le 11 mars, nous avons rencontré à San Salvador Messieurs Andreas Jordan et Antonio Cañas, représentants de la mission d’observation électorale internationale de l’Union européenne. L’UE a été l’une des trois organisations à être invitée par le gouvernement salvadorien à titre de mission officielle* à venir observer les élections de janvier ainsi que celles qui auront lieu ce dimanche. La mission de l’UE réunit 42 observateurs de 23 pays. C’est la première fois que l’UE est invitée à venir observer les élections au El Salvador et elle couvre les 14 départements que compte le pays.

L’UE déploie au El Salvador une mission à trois niveaux :

1- En premier lieu, elle déploie une équipe centrale qui arrive sur le terrain 6 à 8 semaines avant les élections.

2- Elle se compose également d’une mission est de longue durée qui débute les observations sur le terrain 5 à 6 semaines avant les élections

3- Enfin, elle déploie des observateurs de courte durée qui effectuent une observation au El Salvador depuis le 11 mars et ce, jusqu'au 24 mars.

Les droits et les responsabilités des membres de la mission de l’UE sont déterminés selon les termes d’un contrat conclu entre le gouvernement salvadorien et l’UE. À titre d’observateurs officiels, ils ont le droit d’observer les activités menées dans le centre de transmission des résultats au Tribunal suprême électoral (TSE) outre le fait d’avoir le droit d’observer le déroulement du vote et le scrutin final comme les observateurs des autres catégories. Ils ont aussi pour mission de faire des recommandations aux instances électorales salvadoriennes pour améliorer la transparence et le caractère démocratique du processus électoral salvadorien. Cependant, ces recommandations n’ont pas force contraignante. Dans le cas des présentes élections, l’UE n’a pas pour mission de réaliser des sondages ni de réviser le registre électoral.

L’UE a produit son rapport d’observation préliminaire des élections de janvier 10 jours après le jour du scrutin. Quant au rapport d’observation préliminaire des élections de dimanche prochain, il devrait être disponible dès le 18 mars, après la conférence de presse de la mission le 17 mars.

En général, la mission de l’UE considère que les élections de janvier dernier se sont déroulées dans le calme malgré certains cas de violence politique entre partisans des deux partis majoritaires (FMLN et ARENA). Les principales observations de la mission de l’UE lors de ces élections sont résumées dans les lignes suivantes :

- les partis politiques n’ont pas tous eu un accès égal aux médias de masse

- les partis politiques n’ont pas eu un accès égal aux sources de financement

- les membres du TSE ne devraient pas avoir la double fonction administrative et judiciaire

- tous les partis s’entendent sur le caractère désuet de la loi électorale et sur la nécessité de la réformer, notamment en matière de plafonds du financement des partis et des campagnes électorales

- le vote résidentiel aurait avantage à être implanté

- les Salvadoriens et les Salvadoriennes vivant à l’extérieur du pays (plus de 2 millions) devraient avoir le droit d’exercer leur droit de vote

- le TSE a éprouvé des difficultés à sanctionner les violations de la loi électorale qui sont survenues lors des élections de janvier. Notamment, il n’a pas été en mesure de sanctionner les partis politiques pour s’être livrés à une campagne électorale qui s’est étendue sur 1 an plutôt que sur les 4 mois prévus par la loi électorale.

Selon le CIS, jamais une telle mission d’observation électorale internationale n’avait reçu autant d’attention au El Salvador, d’où l’importance pour nous de partager ses observations préliminaires. Cependant, nos interlocuteurs de la mission de l’UE ont affirmé l’importance de porter également toute l’attention nécessaire aux missions d’observation nationales plus nombreuses et qui contribuent davantage à la démocratie du pays en ce qu’elles sont composées de membres de la société civile salvadorienne.

* Il existe 3 catégories de mission d’observation électorale internationale selon le règlement du TSE : les observateurs officiels directement invités par le gouvernement, les observateurs en visite qui demandent la permission au TSE de venir observer les élections et qui acquièrent leur accréditation et les observateurs invités par les partis politiques. Nous nous classons selon la deuxième catégorie.


10 mars - Irrégularités, stratégies et réformes électorales


Rencontre avec Magistrat Eduardo Urquilla du Tribunal suprême électoral








Rencontre avec des représentants de la société civile (FESPAD, Caritas El Salvador, CRIPDES)



Après avoir rencontré l'un des cinq magistrats du Tribunal suprême électoral, Monsieur Eduardo Urquilla, nous avons eu un entretien avec l’ambassadrice du Canada, Madame Claire Gauvin. Nous avons ensuite rencontré des représentants de la société civile avec qui nous avions établi des liens préalables au cours de la mise sur pied de ce projet. Ces représentants provenaient de Caritas El Salvador, de la Fundacion de Estudios Para la Applicacion de Derechos (FESPAD), de Mesa et de Cripdes. Tous ces interlocuteurs nous ont livré leurs impressions de la conjoncture électorale salvadorienne.

Ce qui est ressorti de ces rencontres est, d'une part, les stratégies mises de l'avant par les partis politiques au cours de la campagne et les irrégularités observées lors des élections municipales et législatives de janvier 2009. D'autre part, nos interlocuteurs nous ont mis au parfum des recommandations qui ont été formulées, avant et depuis les élections de janvier, afin d'assurer un niveau de transparence supérieur de celles à venir.

4 226 479 électeurs sont inscrits sur les listes électorales en vue des élections du 15 mars prochain. De ce nombre, on estime que 80 000 à 100 000 de ces personnes sont mortes ou ont quitté le pays. Certaines recommandations ont été formulées en vue de remédier à ces irrégularités du registre électoral. Notamment, il a été fait mention de mettre sur pied de meilleures méthodes de vérification des registres. Pour assurer une plus grande transparence, plusieurs acteurs dont le Tribunal suprême électoral et la mission d’observation de l’Union européenne recommandent aussi que tous les partis politiques aient un accès égal au registre.

Au El Salvador, l’attribution du lieu de vote n’est pas fondé sur le lieu de résidence mais plutôt sur l’ordre alphabétique du nom de famille des électeurs. Ainsi, un électeur peut se trouver dans l’obligation de se déplacer plusieurs kilomètres de son lieu de résidence pour exercer son droit de vote le jour des élections. Pour se rendre au bureau de vote qui lui est assigné, il devra souvent emprunter les transports fournis par les partis politiques affichant les couleurs de ceux-ci. Ces caractéristiques du système électoral salvadorien ne sont pas sans conséquence. Entre autres exemples, elles créent des obstacles au droit de vote des Salvadoriens et des Salvadoriennes, particulièrement, à leur droit au vote secret. De plus, lors des élections de janvier, plusieurs sources disent avoir reçu des plaintes selon lesquelles des étrangers munis de cartes d’identification, auraient voté dans certaines municipalités. À San Isidro dans le département de Cuscatlan, des bureaux de vote auraient même été fermés et les élections avortées afin d'empêcher des fraudes pouvant résulter du vote d'étrangers. S’il existait le vote résidentiel, non seulement les centres de vote seraient plus accessibles, mais les possibilités que des étrangers puissent venir voter seraient rendues difficiles.

Un autre problème majeur ayant été soulevé au cours de ces entrevues est le silence de la loi électorale par rapport au financement des partis politiques et au plafond des dépenses liées aux campagnes électorales. Ces réalités du système électoral salvadorien créent un désavantage pour les partis politiques ayant moins de moyens financiers, un argument par ailleurs soulevé par la mission d’observation de l’Union européenne. Le fait que les élections aient été divisées en deux moments soit, les élections municipales et législatives en janvier et les élections présidentielles en mars, accentue ce désavantage puisque les partis politiques doivent se livrer à deux campagnes électorales, ce qui engendre des coûts supplémentaires. Notons au passage que le Tribunal suprême électoral n’a pas accès aux dépenses liées aux campagnes menées par les partis.

Un autre sujet de préoccupation pré électoral est celui de la composition partisane du Tribunal suprême électoral et de la double fonction, administrative et judiciaire, de ses membres. Une des premières recommandations de la mission d’observation de l’Union européenne de janvier a été la séparation de ces pouvoirs afin d’éviter que les magistrats du Tribunal soient à la fois juges et jury. Nos interlocuteurs du Tribunal et de la société civile ont également dénoncé le fait que la formation du personnel des bureaux de vote soit dispensée par les partis politiques et non par le Tribunal lui-même et que la réalisation des cartes d’identification des électeurs était sous la responsabilité dune compagnie privée du nom de Docusal.

Enfin, d’autres critiques ont été formulées à l’effet que les deux partis politiques qui s’affronteront ce dimanche ont violé la loi électorale en se livrant à une campagne qui s’est étendue sur 1 an plutôt que sur les 4 mois prévus par la loi. Certains dénoncent aussi l’impossibilité pour les Salvadoriens et Salvadoriennes à l’extérieur du pays (environ un tiers de la population) à exercer leur droit de vote, les pratique d'achat de votes et les pressions exercées par certains employeurs sur leurs employés afin de les inciter à voter pour l'un ou l’autre des partis en lice.

Toutes ces caractéristiques du système électoral salvadorien auront sans aucun doute un impact majeur sur les élections de dimanche prochain étant donné le faible écart entre les deux candidats dans les sondages. Dans une telle conjoncture, chaque vote sera primordial pour chacun des partis.