Édito : Médiatisation électorale

Avant notre départ pour le El Salvador, nous avons reçu une formation sur l’observation électorale internationale du Directeur général des élections du Québec (DGEQ). Le guide du DGEQ à l’intention des membres de missions d’observation électorale à l’étranger contient une section de questionnements que tout observateur devrait se poser en processus pré-électoral, tel que celui dans lequel nous sommes plongés chaque jour depuis le 8 mars dernier. Ce document nous rappelle qu’en plus d’observer le climat pré-électoral, nous avons le mandat de nous questionner sur la place des médias dans le processus d’information des électeurs. « Peut-on dire que la presse est libre? », « Tous les partis ont-ils accès de façon équitable aux médias? », « Y a-t-il un traitement équilibré de la campagne électorale par les médias? », « La publicité électorale est-elle limitée? ». Voilà autant de questions pertinentes que nous sommes à même d’aborder actuellement.

Pour ne parler que des médias écrits (journaux), il est nécessaire d’indiquer que le El Salvador publie principalement et de façon quotidienne trois journaux importants soit La Prensa Grafica, El Diario de Hoy et le Co-Latino, pour ne nommer que ceux-ci. Force est de constater que ce dernier quotidien diffuse des nouvelles principalement gauchistes, en faveur du FMLN, et que les deux premiers fournissent aux lecteurs un point de vue fortement aréniste (droite). Le Co-Latino semble toutefois lu par beaucoup moins de citoyens puisqu’il n’est diffusé qu’à San Salvador en fin d’après-midi et est considéré comme un journal plus « alternatif », lu en majorité par des étudiants et des intellectuels.

La presse officielle ne semble revêtre que très peu d’impartialité selon les observations que nous avons pu faire dans les éditions des trois derniers jours.
Aussi, pour la période des élections de janvier, El Diario de Hoy a assigné au FMLN un total de 52,5% d’informations à teneur négative alors que dans le journal Co-Latino, ARENA a reçu un 54,9% de nouvelles à saveur négative.

Nos lectures du rapport d’observation produit par la mission de l’Union européenne pour les élections législatives et municipales de janvier et la rencontre que nous avons eu avec des membres de cette mission mercredi dernier nous permettent d’affirmer et de coroborer que le pays est idéologiquement plus polarisé dans les médias que dans la réalité sociale, ce à quoi les deux principaux quotidiens du pays participent activement. En effet, depuis notre arrivée au pays, nous avons été à même de constater que la partisanerie des médias écrits transparaît dans les termes utilisés, dans les titres des articles, de même que dans le traitement de l’information touchant l’international, insinuant particulièrement une rumeur communiste du parti FMLN. Par exemple, les grands titres suggèrent notamment des liens entre l’idéologie de gauche du FMLN et la réalité en Équateur, au Vénézuela et au Nicaragua : « Chávez controlará puertos y aeropuertos : acusar al izquierdista de crear un estado “subversivo” y de tipo hegemónico » – El Diario de Hoy – 13 mars 2009 (Traduction: « Chávez contrôlera les ports et les aéroports : le gauchiste est accusé de créer un État “subversif” et de type hégémonique »). De plus, on parle de Mauricio Funes comme du “candidat présidentiel du FMLN” et de Rodrigo Avilá comme “l’aspirant présidentiel de l’ARENA”, ce qui donne déjà un certain ton au débat.

Bref, dans un tel contexte, peut-on parler d’une presse véritablement libre? Avec ce que l’on constate, nous sommes à même d’en douter sérieusement... Et puisque les médias écrits se montrent aussi partisans, l’électeur salvadorien doit exercer son jugement critique autrement pour arriver à prendre une décision, qui s’avérera cruciale au scrutin de demain, où chaque vote comptera, particulièrement ici, dans le département de Chalatenango où la lutte entre les deux partis s’annonce particulièrement serrée. En effet, aux élections de janvier, à peine quelques dizaines de votes ont séparé les deux partis.

La représentation des femmes dans la politique au El Salvador

Les femmes représentent 54 % de la population salvadorienne. Néanmoins elles demeurent sous-représentées au sein du gouvernement et des partis d’opposition. Par exemple, sur les 178 candidats “principales” à l’assemblée nationale, 36 sont des femmes, soit 20 % du total. Et ce pourcentage doit être révisé à la baisse si l’on tient compte de celles qui ont une chance “réelle” d’être élues.

Il est important de souligner que le rapport d’observation rédigé aux élections municipales et législatives de janvier 2009 par la Mission de l’Union européenne fait mention d’une légère augmentation de la participation féminine par rapport aux élections précédentes.Le FMLN fait notamment figure d’exemple en ce sens, puisqu’il spécifie clairement ses objectifs concernant une politique transversale d’égalité des genres à l’intérieur de son programme électorale. Le député “Gerson Martinez”, qui nous a présenté le programme “eféméléniste” dans le cadre de la conférence intitulée “ Analysis political forum on platforms and offers of two main political parties”, a employé l’expression “code génétique du programme” et parlait de la “mission d’égalité des genres” du parti pour répondre à ma question portant sur la position du gouvernement "Funes" à l’égard des femmes.

Le FMLN présente, en effet, la formation à l’intérieur de laquelle le pourcentage de “candidates” est le plus élevé, soit de 15 femmes sur un total de 45 députés potentiels, par rapport à 10 sur 84 du côté d’ARENA, de 2 sur 14 au sein du PDC et de 6 sur 16 dans la formation du CD. Il est à noter qu’en supposant que les partis récoltent respectivement le même nombre de sièges aux élections présidentielles du 15 mars, le taux des candidates diminuera de 14,7 % à 11% au sein du parti ARENA et augmentera de 25 à 31 % dans le cas du FMLN. Le rapport de mission de l’UE souligne cependant la participation active des femmes au sein des Juntas receptora de voto (junte réceptrice des votes), tant à titre de présidente de junte qu’aux autres postes de responsabilité relatifs à l’organisation électorale de 2009, où elles ont représentées plus de la moitié des ressources humaines. Cet espace reste par ailleurs à être développé au sein des fonctions hiérarchiques plus élevées à l’intérieur du Tribunal suprême électoral. S’il y eut une femme magistrat par le passé, Carlos (le Salvadorien d’origine, membre de notre groupe) n’en a pas souvenir, mais tout est possible et le peuple salvadorien progresse en matière de reconnaissance de la valeur et du potentiel des femmes. Après tout, depuis 4 ans est vice-présidé par Madame Ana Vilma de Escobar, et Violeta Menjivar vient d’être défaite aux dernières élections, mais elle a occupé la très prestigieuse fonction de mairesse de la capitale “San Salvador”.

Les femmes représentent aussi ce 54 % de lapopulation pour lesquelles plusieurs organisations de la société civile luttent activement. Par exemple, la Concertacion de mujeres de Suchitoto (Concertation des femmes de Suchitoto) que nous avons eu la chance de visiter. Suchitoto est une petite ville située dans le département de Cuzcatlan, à quelques 100 km de San Salvador. Cette organisation fut fondée en 1994, soit deux ans après la fin de la guerre civile. La mission d’origine visait le développement d’alternatives économiques pour les veuves de guerre. Aujourd’hui, à l’instar de nombreuses autres organisations au pays visant l’amélioration des conditions de vie des femmes, leurs programmes adressent, entre autres le développement de projets de micro-entreprises (broderies, confection de chandelles, shampooing et savon organique, etc.) À Suchitoto. Les femmes ont aussi vaillamment forcé l’intégration et la représentation des femmes au sein de la mairie locale. Ainsi, elles nous disent, avec une pointe de déception, n’avoir réussit à s’emparer que de quatre sièges sur un total de douze, leur objectif était bien évidemment la parité. Cela représente quand même une belle victoire et elles jurent qu’aux prochaines élections, la voix des femmes aura une portée égale à celles des hommes.

La veille des élections


Nous sommes arrivés hier dans la communauté de Chalatenango, là où se trouve le Centro de votacion (centre de vote) que nous allons observer. Nous avons rencontré les membres de la Junte électorale municipale (JEM), qui nous ont fait visiter le centre de vote, et qui nous ont expliqué la manière dont se déroulera la circulation et de quelle manière les gens vont se présenter pour voter. On nous a appris entre autres que le Padron de busqueda (registre où les gens cherchent leur nom pour savoir à quelle table ils iront voter) sera présenté sur ordinateur, version électronique. De plus, le sens de la circulation sera inversé pour faciliter l’entrée dans le centre de vote, et aussi parce que les bureaux de l’un des partis se trouvait devant l’arrêt d’autobus. C’est la Junte électorale départementale (JED) qui a préparé le plan, puisque la JEM, composée de 2 membres de chaque parti, ne pouvait s’accorder sur la manière dont allaient se dérouler les choses.

Aujourd’hui, ce fut au tour des partis politiques. C’est là que nous avons pu prendre le pouls des deux camps sur ce qui selon eux nous devrions attacher une attention particulière. Les deux points les plus litigieux furent sans doute un barrage routier dans le canton de Guarjila et la décision d’inverser le sens de la circulation à Chalatenango le jour des élections.

Nous avions aussi deux questions à poser aux partis. D’abord, il faut savoir qu’au Salvador, le vote n’est pas résidentiel. C’est-à-dire que les tables de votes sont toutes regroupées dans un centre de vote et que toutes les communautés environnantes doivent se rendre à ce centre pour pouvoir voter. Par exemple, au centre de vote de Chalatenango, il y aura plus de 50 tables de vote regroupées dans un quadrilatère fermé à la circulation. Certains citoyens auront à se transporter sur plus de 20 kilomètres pour pouvoir exercer leur droit de vote. Nous avons donc demandé aux deux partis ce qu’ils pensaient de la possibilité d’un vote résidentiel. Nous avons aussi voulu savoir quelles mesures chacun d’entre eux allaient prendre pour amener les citoyens de leur cantons jusqu’à Chalatenango, puisqu’aucun transport public gratuit n’a été organisé par le Tribunal suprême électoral (TSE).

Le premier rendez-vous était donc prévu avec le maire de Chalatenango, M. Rigoberto Mejia, du parti ARENA. Nous l’avons rencontré dans le bureau du parti , situé à 100 mètres du centre de vote, tel que le prévoit le code électoral. Selon le président de la JEM, M. Mejia a remporté la mairie en janvier avec une majorité de 35 votes (90 selon la Croix rouge). M. Mejia avait plusieurs inquiétudes, entre autres en ce qui concerne l’inversion de la circulation et le barrage routier à Guarjila. Selon ses dires, cette mesure pourrait ralentir le processus et ainsi décourager certains citoyens de voter, puisque pour entrer dans la ville, les autobus devront monter la pente très abrupte que l’on descend normalement pour en sortir.

Pour ce qui est du barrage routier, selon M. Mejia les membres du parti FMLN bloquent la route de Guarjila en direction de Chalatenango depuis huit jours sous prétexte que des Honduriens viendraient pour voter. Bien que les gens n’y soient pas détenus, on demande systématiquement le document d’identification à toute personne voulant passer, ce qui selon lui n’est pas conforme à la loi électorale. Pour M. Mejia, c’est aussi une forme d’intimidation contre les militants arenistes. Pour la question du vote résidentiel, M. Mejia croit que ce serait une bonne option puisque c’est plus facile pour les urnes de se rendre là où les gens vivent que l’inverse. Pour pallier au fait que les gens doivent se déplacer, le parti ARENA a prévu différents moyens de transport, comme des autobus, des micro-bus, des taxis et des camions.

Ce fut ensuite au tour du parti FMLN, qui se trouve aussi à 100 mètres du centre de vote, mais dans la direction opposée, pour éviter, selon la JEM, toute confrontation le jour des élections. La discussion fut centrée essentiellement sur les mêmes points. C’est d’ailleurs Mme. Suyapa Ortega, coordonnatrice de l’observation électorale au sein du FMLN, qui est allé de l’avant avec ses inquiétudes au sujet du vote étranger. Selon Mme. Ortega, plusieurs Honduriens sont inscrits illégalement au registre électoral et détiennent un document d’identification qui leur permet de voter. C’est pour cette raison que des partisans du FMLN du canton de Guarjila ont établi une vigile citoyenne pour empêcher les Honduriens de se rendre au centre de vote. Puisque qu’à la frontière, les douaniers ne font pas ce travail, Mme. Ortega estime nécessaire que les citoyens le fassent. Elle ajoute qu’une campagne a été menée aux Honduras avant la période électorale pour décourager les honduriens de venir voter au Salvador et ainsi laisser aux salvadoriens le soin de décider pour eux-mêmes. Elle ajoute également que depuis deux jours, la police nationale a pris part à l’opération pour qu’elle se déroule pacifiquement. Au sujet de l’inversion du sens de la circulation, Mme. Ortega est d’avis qu’aux dernières élections, les gens descendaient des bus devant le bureau d’ARENA. Elle soutient que les arenistes les faisaient entrer, leur offrait des rafraîchissement et procédaient à l’achat de votes. C’est pour cette raison que le FMLN a revendiqué que cette situation se résorbe.

Au sujet du vote résidentiel, Mme. Ortega partage l’avis de M. Mejia, puisque comme lui elle pense que le vote serait beaucoup plus accessible si les urnes étaient situées dans chaque communauté. Pour ce qui est du transport, il est difficile d’en évaluer le nombre, mais le FMLN a organisé différents moyens dans chaque municipalité, et on se fie aussi sur la solidarité entre citoyens. Elle ajoute que le parti ARENA a tenté de décourager certains transporteurs de se rendre dans les zones dites rouges (qui votent pour le FMLN).

Dans l’après-midi, nous avons visité une organisation dans Guarjila, qui nous a décrit en profondeur l’opération que les deux partis appellent soit barrage routier ou vigile citoyenne. Si on ne sait pas dans quel camp la balle s’arrêtera, on sait que pour l’instant, elle est dans celui des citoyens. Et chacun des deux partis s’entend pour dire qu’ils préfèreraient que les élections aient lieu dans le calme et sans violence. Que le peuple décide!